Premiers jalons
Les premiers témoignages authentiques du développement de la lutte datent des Sumériens, il y a 5000 ans. L’épopée de Gilgamesh en écriture cunéiforme, les sculptures et les bas-reliefs sumériens sont autant de sources qui nous révèlent les premières compétitions de lutte arbitrées et accompagnées de musique. Nombreux sont également les vestiges archéologiques et historiques relatifs à la lutte en Ancienne Egypte. Parmi eux, méritent d’être mentionnés en particulier les dessins découverts dans les tombes de Beni-Hassan représentant 400 couples de lutteurs. Ces dessins, ainsi que beaucoup d’autres vestiges, témoignent de l’existence en Ancienne Egypte de corporations de lutteurs ainsi que de règles de lutte et d’arbitrage aux compétitions.
Pour les Grecs, la lutte était une science et un art divin et constituait l’entraînement le plus important des jeunes hommes. Les athlètes luttaient nus, le corps enduit d’huile d’olive et recouvert de sable très fin afin de protéger la peau des rayons du soleil ou du froid de l’hiver. Après l’entraînement ou le combat, ils enlevaient cette couche en se servant d’un instrument appelé strigile et se lavaient à l’eau fraîche. Les combats étaient disputés dans un style proche de celui de la lutte libre, dont témoignent les descriptions et les dessins de cette époque. Le concurrent ayant réussi à projeter son adversaire ou à l’amener à terre trois fois sur le dos, la hanche, la poitrine, les genoux ou les coudes était proclamé vainqueur.
Au cours des Jeux Olympiques de l’Antiquité, à partir de 708 avant Jésus Christ, la lutte était la discipline décisive du Pentathlon. Elle était en effet disputée en dernier lieu – après les épreuves du disque, du javelot, du saut en longueur et de la course – et désignait le vainqueur du Pentathlon, seul couronné des Jeux Olympiques. Le plus illustre des lutteurs fut Milon de Crotone (élève du philosophe Pythagore) qui fut sacré six fois champion olympique (de 540 à 516 av. J-C), dix fois vainqueur aux Jeux Isthmiques, neuf fois aux Jeux Néméens et cinq fois aux Jeux Pythiques. Selon la légende, il voulut fendre un arbre de ses mains et les deux parties du tronc se resserrèrent sur ses doigts et, ainsi retenu, il fut dévoré par les lions.
Rupture et renouveau
La lutte chez les Romains se développa sur la base du riche patrimoine des Etrusques et de la restauration des jeux grecs. La lutte était le sport favori des jeunes aristocrates, des soldats et des pâtres. Selon Classius Dion, les palestres étaient à l’origine des succès militaires des Romains. En 393, l’empereur Théodose Ier décréta l’interdiction de tous les jeux païens et sonna le glas des Jeux Olympiques. Les idées olympiques sombrèrent peu à peu dans les ténèbres du Moyen Age, sans cesser pourtant de subsister à l’état latent. Au cours du Moyen Age et de la Renaissance, la lutte fut pratiquée par l’élite sociale dans les châteaux et les palais. De nombreux peintres et écrivains la célébrèrent et en préconisèrent la pratique : Le Caravage, Poussin, Rembrandt, Courbet, Rabelais, Rousseau, Montaigne, Locke, etc. Il est également intéressant de noter que le premier livre imprimé parut en 1500 et qu’en 1512 sortait déjà le manuel de lutte en couleurs du grand peintre allemand Albrecht Dürer.
Les tentatives entreprises pour restaurer les Jeux furent nombreuses, mais il fallut attendre 1896 pour que les Jeux Olympiques soient rétablis par le Baron Pierre de Coubertin. Après la constitution du Comité International Olympique en 1894, la création de nouvelles fédérations sportives internationales et de comités nationaux olympiques s’accéléra. Le premier Congrès olympique eu lieu en 1894 à la Sorbonne et décida des dix sports qui figureraient au programme des compétitions : l’athlétisme, la lutte, l’aviron, le cyclisme, l’escrime, la gymnastique, l’haltérophilie, la natation, le tir et le tennis. Au tournoi de lutte à Athènes, il n’y avait pas de catégories de poids et les 5 concurrents s’affrontèrent selon des règles similaires à celles de la lutte gréco-romaine professionnelle. Les combats duraient jusqu’à la victoire de l’un des deux lutteurs, leur interruption et leur reprise le jour suivant étant permises. Le premier Champion Olympique ne fut pas un lutteur de formation mais le gymnaste allemand Schumann, vainqueur également au saut de cheval et aux barres parallèles. Celui-ci réussit à tomber le champion anglais des poids et haltères Launceston Elliot, bien plus lourd que lui, par une ceinture avant exécutée avec vitesse et précision.
En 1900, pour la seule fois de l’histoire des Jeux Olympiques modernes, les Jeux de Paris ne comptèrent pas la lutte à leur programme, alors que parallèlement, la lutte professionnelle connaissait ses plus beaux succès aux Folies Bergères et au Casino de Paris.
Lutte professionnelle
La lutte professionnelle se dessina en France à partir des années 1830. Les lutteurs qui n’avaient pas accès aux milieux d’élite formèrent des troupes de forains qui sillonnaient la France pour démontrer leurs talents. L’arène des lutteurs côtoyait alors les stands des montreurs de fauves, des funambules et des femmes à barbe. Les bonisseurs présentaient les lutteurs aux noms évocateurs tels qu’Edouard le mangeur d’acier, Gustave d’Avignon le briseur de vertèbres ou Bonnet le bœuf des Basses Alpes et mettaient au défi le public de les tomber pour la somme de 500 francs. En 1848, le forain français Jean Exbroyat créa la première troupe de lutteurs de cirque moderne et institua la règle de ne pas porter de prises au dessous de la ceinture. Il nomma ce nouveau style la « lutte à mains plates ». A sa mort en 1872, l’avocat lyonnais Rossignol-Rollin assuma la direction de cette troupe et se fit remarquer par son habileté à faire de la publicité, à « arranger » des matchs et à remettre des récompenses aux lutteurs au nom du public.
L’influence française s’étendit de l’Empire austro-hongrois, à l’Italie, au Danemark ou à la Russie et le nouveau style se propagea sous les noms de lutte gréco-romaine, de lutte classique ou de lutte française. Des combats de lutte professionnelle s’organisèrent ainsi partout en Europe avec des règles et des programmes de compétition très variables en fonction des goûts des lutteurs, des managers ou du public. En 1898, le Français Paul Pons, surnommé Le Colosse, fut le premier Champion du Monde professionnel devant le Polonais Ladislaus Pytlasinski. D’autres grands champions lui succédèrent tels que le Turc Kara Ahmed (le Monstre de l’Orient), le Bulgare Nikola Petrov (le Lion des Balkans) ou le Russe Ivan Poddoubni (le Champion des Champions).
A la fin du XIXème siècle, la lutte professionnelle était le sport le plus en vogue en Europe, mais elle commença à s’éroder à partir de 1900 en raison des matchs convenus, des victoires truquées ou de l’annonce de faux titres et de fausses nationalités des concurrents. La redécouverte de l’amateurisme olympique favorisa la création de nombreux clubs et écoles de lutte amateur qui finirent d’achever la lutte professionnelle. D’un point de vue historique la lutte professionnelle a cependant des mérites indiscutables. Les compétitions contribuèrent à populariser la lutte, l’aspect physique des lutteurs servit de modèle aux jeunes hommes et le système d’entraînement mis en place permit aux clubs de lutte amateur de se structurer rapidement.
Lutte olympique moderne
En 1904, la lutte libre fut introduite pour la première fois aux Jeux de Saint Louis et fut disputée uniquement par des lutteurs américains. Il fallut attendre les quatrièmes Jeux Olympiques à Londres en 1908 pour que les compétitions de lutte soient organisées dans les deux styles. Aux Jeux Olympiques de Stockholm en 1912, la lutte libre fut à nouveau absente du programme et des compétitions de lutte islandaise glima furent organisées. Les combats de lutte se déroulaient alors sur trois tapis à ciel ouvert. La durée des combats était de 1 heure, tandis que les finalistes luttaient sans limitation de temps. Le combat opposant le Finlandais Alfred Johan Asikainen et le Russe Martin Klein dura 11 heures et 40 minutes et figure au Guiness Book des Records. Les deux lutteurs, à égalité de points, furent départagés par deux périodes de 3 minutes de lutte à terre. Finalement, le Russe réussit à vaincre le Finlandais qui pesait 8 kg de plus que lui. Epuisé par ce match, Martin Klein ne parvint pas à battre le Suédois Johansson qui décrocha la médaille d’or des 75 kg.
A partir de cette date, la lutte, encouragée par la Fédération Internationale nouvellement crée, se développa dans tous les pays. Les pays d’Europe du Nord maintinrent pendant de nombreuses années le monopole en lutte gréco-romaine, alors que la lutte libre fut largement dominée par les Américains et les Anglais. En 1928 à Amsterdam, le lutteur égyptien Ibrahim Mustafa fut le premier lutteur africain à remporter un titre olympique. Le Japonais Shohachi Ishii décrocha le premier titre asiatique aux Jeux de Helsinki en 1952. De nombreuses légendes ont façonné l’histoire de la lutte mondiale et il serait impossible de tous les nommer. Cependant, quatre lutteurs ont profondément marqué l’histoire des Jeux Olympiques modernes en remportant trois titres olympiques. Il s’agit du Suédois Carl Westergren (1920, 1924 et 1932 en lutte gréco-romaine), du Suédois Ivar Johansson (1932 en lutte gréco-romaine et en lutte libre et 1936 en lutte gréco-romaine), du Russe Alexandre Medved (1964, 1968 et 1972 en lutte libre) et du Russe Alexandre Karelin (1988, 1992 et 1996). Suite à son troisième titre, Alexandre Karelin se lança à la conquête de son quatrième titre aux Jeux de Sydney en 2000, mais à la surprise générale, il fut battu en finale par le lutteur américain Rulon Gardner. En 2002, à l’occasion des Championnats du Monde de lutte gréco-romaine à Moscou, la FILA attribua le titre de Meilleur Lutteur du Siècle aux deux Russes Alexandre Medved (pour la lutte libre) et Alexandre Karelin (pour la lutte gréco-romaine) en leur décernant le Collier d’Or de la FILA, distinction réservée généralement aux Chefs d’Etats.
Cent ans après l’introduction de la lutte libre au programme olympique, la lutte mondiale entra dans une nouvelle ère avec la reconnaissance de la lutte féminine comme discipline olympique à l’occasion des Jeux d’Athènes de 2004. Cette décision s’inscrit dans la politique du CIO visant à établir l’égalité dans le sport. Elle légitima également les efforts de la FILA qui soutenait le développement de la lutte féminine depuis la fin des années 80.